HISTOIRE - Livre 1, Chapitre 1: L'empereur d'acier

Livre I
Chapitre II






L'EMPEREUR D'ACIER




Près de trois milliers d'années après l'avènement de la Monarchie fondée par Subtil, les hommes avaient beaucoup changé leur monde.
Nul doute que l'aventure de Subtil avait sombré dans l'oubli, désormais. Il faisait partie de cette histoire sombre, où les hommes combattaient avec des fourches ou des lances, et s'exprimaient en vers. Non, ce temps là était révolu, et l'époque moderne lui était bien supérieure.
En moins de cinq siècles, l'humanité avait conquis tous les territoires de Grandnoir. Puis, progressant encore, ils colonisèrent Terrebasse, une planète voisine, fondant l'embryon d'un empire qui s'annonçait grandiose.
Mais en tentant d'investir une troisième planète, Asalman, les hommes réveillèrent le courroux d'un ennemi terrifiant : l'Empire Kanrionan. Ce dernier était bien plus avancé, mieux organisé et mieux armé. Seul le nombre de ses vaisseaux lui faisait défaut, et c'est ce qui, jusqu'à présent, avait toujours sauvé la Monarchie.

Mise en difficulté, elle avait, en quelques années, vu passer plusieurs dynasties, toutes mises en échec par l'Empire. Ce dernier n'ayant pas encore les capacités de lancer une invasion de large envergure, organisait des raids sur les cités humaines, pillait les richesses, les armes et les technologies, et les ramenait sur Asalman. Une nouvelle fois, l'humanité devait faire face au chaos.

En l'an 1783 de l'Ere spatiale, le Comité des Nobles se réunit pour la seconde fois de l'année, afin de choisir parmi eux un nouveau roi. Aucun volontaire ne se désigna. Par conséquent, la sauvegarde de la nation fut confiée à l'Amiralissime Criefort, chef des armées.
Conscient de l'importance de sa nouvelle responsabilité, ce dernier envoya l'un de ses hommes, Voldar, en mission à Asalman, avec pour but de ramener toutes les informations sur les mouvements ennemis qu'il pouvait. Ce dernier, infiltrant le palais impérial, apprit que l'empereur avait presque achevé la construction d'une immense flotte droïde, dotée d'intelligence artificelle, et capable d'envahir Grandnoire et Terrebasse sous trois semaines.
Sans coup férir, Voldar rallia Grandnoir, à bord d'un petit vaisseau marchand. Mais quelle ne fut pas sa surprise...
Martelant les pavés de la capitale, les soldats patrouillaient, chassaient les sans-abri, ordonnaient le couvre-feu. Une indélicate odeur de brûlé emplissait l’air. Lorsqu’il vit la fumée noire s’échapper du Conseil des Nobles, Voldar comprit : désireux de conserver le pouvoir, Criefort avait éliminé les Nobles afin d’instaurer une dictature militaire. Affolé, il fonça vers les chantiers spatiaux afin de fuir et prévenir les autorités de Terrebasse. Mais une nouvelle surprise l'attendait : deux croiseurs impériaux avaient débarqué sur Grandnoir… sans avoir été attaqués! Les suivant, La Tour, le vaisseau de l'Empereur, atterit. Voldar décida de se cacher derrière un chasseur léger, sur le quai, et de tendre l’oreille, retenant sa respiration :

« Bonsoir Criefort. Belle opération !
_ Votre altesse, ce fut un plaisir que de me débarrasser pour vous de ces stupides nobles ! Ils étaient incompétents, et égoïstes. Mais une nouvelle ère s’apprête, et l’Empire assurera mieux qu’eux notre avenir.
_Des nouvelles de Terrebasse ?
_Oui, monseigneur. De ce que je sais, ils se rallieront à la nouvelle que l’Empire a « conquis » Grandnoir.
_Assurez-vous que personne n’apprenne qu’il s’agit d’un coup d’état, jusqu’à l’arrivée de la flotte impériale à Terrebasse. Dans le cas contraire, la population pourrait se rebeller. Faites croire qu’une rude bataille spatiale a eu lieu, et que l’Empire l’a emporté.
_Comme convenu, sire ! »

Voldar ne pouvait en entendre plus, et les deux hommes s’éloignaient, bien escortés. Ainsi donc, l’Amiralissime Criefort avait fait croire qu’il avait perdu la guerre, alors qu’aucun laser n’avait été tiré. Et la Monarchie disparaîtrait… le traître!
Il ne pouvait supporter une telle idée. Prenant son courage à deux mains, oubliant toute notion de discipline militaire, il grimpa à bord du chasseur derrière lequel il était camouflé, et décolla. Les gardes, pris par surprise, tentèrent de l’arrêter. Et même si la coque du petit vaisseau fut quelque peu écorchée à quelques endroits, Voldar put sortir de l’atmosphère.

Lorsqu’il arriva à Terrebasse, il se rendit immédiatement à la Grande Préfecture, où il expliqua toute l’histoire. Alors, le Grand Préfet, un monarchiste convaincu, mit à sa disposition toute la flotte et toute l’artillerie de la planète pour la défendre.
La flotte impériale arriva peu après en orbite de Terrebasse. La planète ouvrit le feu, déchaînant trois centaines de canons lasers et deux bons milliers de lance-missiles sur les vaisseaux droïdes de l’ennemi. Beaucoup tombèrent rapidement, pris par surprise. L'amiral ennemi ouvrit à son tour le feu, propageant flammes et explosions, faisant trembler la planète toute entière sous les lasers impériaux.

Voldar comprit vite que la défense ne pourrait rien faire contre les plus gros vaisseaux ennemis, technologiquement trop avancés : leurs boucliers absorbaient sans problèmes les tirs Monarchistes.
Il ordonna à la flotte de décoller, et lui même prit le commandement du cuirassé monarchiste de Terrebasse, récemment sorti des chantiers spatiaux de la planète et doté des dernières technologies.

Les deux flottes s'alignèrent. Les impériaux, encore plus nombreux, purent se permettre d'adopter une formation en deux rangs. Les monarchistes, eux, formèrent un "V". L'amiral ennemi entra alors en communication avec Voldar :

"Voici donc le déserteur! Nous vous cherchions, sergent! Vous devriez vous rendre au palais impérial. L'empereur est mécontent de vous!
_Je n'ai jamais, et je ne travaillerai jamais pour lui! C'est un despote! Votre société toute entière anihile la liberté et tue la justice! Jamais je ne me rendrai!
_Vous êtes ridicules, et dépassés! Nous sommes trois fois plus nombreux, et nous vous encerclerons en quelques minutes! Rendez-vous, et peut-être vivrez vous plus longtemps. Les belles paroles ne vous servent à rien.
_Je préfère mourrir libre."

Il coupa la communication. Puis, il décida de parler à ses hommes.

"Messieurs, nous sommes devant un ennemi trop nombreux pour nous. Si nous décidons de le combattre à la régulière, en rangs serrés, nous nous ferons écraser. Jouez la carte de la mobilité. A mon signal, lancez vos propulseurs à pleine puissance, et slalomez le plus rapidement possible entre les ennemis. C'est le seul moyen d'embrouiller leur système de visée!"

Les vaisseaux impériaux sortirent leurs canons. Alors, Voldar cria à la charge, et, à son signal, tous les vaisseaux monarchistes s'éparpillèrent à une vitesse considérable. Les impériaux tentèrent immédiatement d'ouvrir le feu. Mais déjà, un croiseur impérial explosa littéralement une frégate de son camp. Et ainsi, les monarchistes, extrêmement mobiles, ne s'arrêtaient jamais, virevoltaient, passaient entre les impériaux, au-dessus, en-dessous d'eux. Les viseurs ennemis ne savaient plus où donner de la tête. Peu à peu, ils explosaient, un par un, touchés par les tirs de leurs propres alliés. Leur nombre était divisé de moitié, alors que les monarchistes n'avaient perdu qu'un seul des leurs.
Aux commandes de son vaisseau, Voldar suait à grosse gouttes. Il devait donner les indications de répartition de puissance énergétique, donner les directions à son pilote, coordonner le travail de chacun. Car en effet, les monarchistes volaient à une vitesse incroyable, et, pour peu que deux d'entre eux se croisent entre deux mêmes vaisseaux, ils s'écrasaient l'un contre l'autre dans un choc mortel et dévastateur.

Alors que les monarchistes semblaient en passe de prendre l'avantage numérique, une nouvelle flotte impériale ouvrit une porte d'hyperespace, et se plaça immédiatement en formation de combat. Alors, n'hésitant pas une seule seconde, elle ouvrit le feu, sur ses propres vaisseaux autant que sur ceux de la monarchie, sans prendre garde au capharnaüm qu'avait si promptement créé les monarchistes.
Ce fut un massacre : des milliers d'hommes mourrurent ce jour là dans leurs vaisseaux. Escorté de quelques chasseurs lourds en mauvais état, le vaisseau de Voldar réussit à s'éloigner hors de portée de tir des impériaux.

"Mon Dieu, quel désastre! Nous avons tout perdu. L'empire est à ce point déterminé qu'il se fiche du moyen pour arriver à la fin. Jamais je n'ai vu telle haine.
_ Sergent, si j'en crois nos scanners, l'empereur est parmi les vaisseaux impériaux de la seconde vague!
_Comment?! Mais voilà qui change tout! Cessez de fuir! Rotation de 64° tribord!
_P... Pardon, monsieur?! Nous ne pouvons pas lutter face à une telle flotte!
_Détrompez vous, amiral! J'ai mon idée!"
L'officier, visiblement secoué, ne répondit rien et transmit les ordres. Le croiseur de Voldar, fumant et cahotant, se retourna donc, montrant son profil gauche mutilé par les tirs impériaux à ses ennemis.
L'empereur l'observa, non sans s'interroger. Un des officiers l'appela aux ordres. Il réfléchit plusieurs longues minutes.
"Avancez. N'ouvrez le feu qu'à mon signal".

La flotte impériale s'avançait doucement, méfiante. Alors Voldar cria le plus fort qu'il put :
"Mettez toute la puissance qu'il nous reste sur le canon principal! Ouvrez le feu droit devant nous!
_Mais Sergent Voldar...
_Exécution!"

Le croiseur ouvrit le feu. Son tir, un laser bleu, large et rectiligne, s'enfonça droit et puissant dans la lune de Terrebasse, une petite planète verte, déserte et inhabitable. Alors, celle-ci explosa en milliers de météorites, qui, propulsées par le souffle de l'explosion du laser, et attirés par la gravité de Terrebasse, fonçaient maintenant sur la flotte impériale.
"Foncez amiral! Dégagez d'ici avant que ces météorites nous explosent! Toute la puissance sur les réacteurs!"

Le croiseur s'ébranla alors, tentant de se dégager de la trajectoire des météorites. Plusieurs impacts l'affaiblirent. L'un de ses réacteurs fut arraché à la coque. Et, au prix d'un immense effort, les pilotes réussirent à se dégager, et atterrirent en urgence sur Terrebasse, dévastant au passage toutes les infrastructures commerciales du port spatial.

Les impériaux n'eurent pas le temps de comprendre la ruse de Voldar. Déjà, leurs premiers chasseurs volaient en éclat dans un festival de flammes et d'explosions. Puis les croiseurs. Puis les cuirassés.
"Sire?
_Dégagez!"
L'empereur se leva de son trône, le front perlé de sueurs froides. Une première météorite toucha le flanc du vaisseau, qui bascula sur le côté. Une seconde lui arracha le nez, et une troisième le réacteur principal.
La pluie de météorites cessa. Le vaisseau impérial était immobile, mais tenait encore, majestueux, au dessus de la planète. Il n'avait pas perdu. L'empereur sourit.

"Feu!"

Un petit missile, datant de l'ère atomique, s'éleva dans les airs. Il traversa l'atmosphère, et, lentement, sûrement, il se dirigea vers l'ennemi.





Il approche. Il explose. Dans un tonnerre de flammes, une explosion nucléaire réduit l'empereur et son vaisseau à néant. Voldar a gagné. Il n'y croit pas.





Mais il ne put se réjouir longtemps. Alors même qu'il allait ouvrir la bouteille de champagne, un officier lui apporta un rapport émis de Grandnoir.
La planète était intégrée à l'Empire Asalman. Et le lendemain, Criefort était investi empereur.

La lutte contre la Grande Tour impériale ne faisait que commencer.